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Palais royal


Cérémonie païenne déguisée en folk tranquille, Viva last blues installe Palace sur son piédestal : un groupe vibrant et indispensable.



Droit aux faits : Viva last blues a été cuisiné avec l'aide du fan Steve Albini, de Jason Lowenstein de Sebadoh, et d'autres musiciens certifiés indie, voire lo-fi comme tient utilement à le rappeler le dossier de presse. Il aurait été produit par Lennie Kravitz ou Bernie Bonvoisin que l'impact sur le résultat final aurait été le même : nul. Ici, une amorce de déconstruction ; là, une harmonie rendue équivoque sur le très flottant Viva ultra ; ailleurs, deux ou trois dissonances et fausses notes pour marquer le coup, voilà à peu près à quoi se résume l'apport albinesque.

Viva last blues reste avant tout un disque de Will Oldham, c'est-à-dire une espèce de cérémonie païenne déguisée en folk tranquille, où le chant est occasionnellement doublé par des choeurs d'une telle ferveur qu'ils évoquent immédiatement le gospel ou le meilleur reggae, soit un univers inquiet et inquiétant, en deça (au-delà ?) de la révolte. Où l'on se demande "Where are the days I used to be friendly", où l'on ressasse sa solitude avec une fragilité enfantine, une honnêteté désarmante qui disqualifient à l'avance toute accusation d'auto-apitoiement. Les ballades sont toujours à très forte teneur émotionnelle — et il faut se lever de bonne heure pour tomber sur des choses aussi prenantes que The brute choir — mais l'album, (un peu) plus varié que les précédents, vaut aussi par deux morceaux nettement plus énervés que d'habitude, hypnotiques, qui suffiraient à en faire le prix. Voilà toute l'affaire. Chronique vite faite parce que, pour le reste, tout a déjà été dit des Palace Brothers dans ces pages. Chronique inutile parce qu'il s'agit de répéter encore et encore à des gens qui le savent déjà que ce groupe est devenu en peu de temps le plus vibrant, le plus indispensable depuis les Smiths. Parce que ce nouvel album est aussi exceptionnel que tout ce que Will Oldham a fait jusqu'à présent. Parce que ceux qui, un jour, se sont laissés ensorceler par le folk terminal de There's no one what will take care of you ont de toute façon acheté toute la suite et n'attendront pas cette chronique pour se précipiter sur Viva last blues. Parce qu'on n'a ni l'espoir ni la prétention de convertir les réfractaires à cette musique de fin de parcours. D'ailleurs, à ces derniers, on ne donnera pas tort, étant potentiellement leur semblable : jusqu'ici, tout allait bien, on écoutait beaucoup de nouveautés, en se gavant de compilations de vingt-cinq morceaux, on trouvait tout moyen, c'était super, le bonheur, la fin des questions. Et voilà que ce gringalet de Will Oldham est venu nous oppresser avec des choses que tout ça était précisément censé nous épargner, la beauté, l'émotion, la métaphysique, tous ces trucs ringards, toutes ces vieilles légendes d'un monde révolu. Voilà que ce gamin nous rendait ridiculement lyriques.

François Keen

PALACE Viva last blues (Domino/PIAS)


Toute l'actualité culturelle : musique, cinéma, livres, etc. Les Inrockuptibles
numéro 21
du 23 août au 5 septembre 1995
page 20