
Summer in the Southeast
Au début des années 90, Will Oldham, alors petit frère des pauvres chez Palace Brothers, ouvrait une voie béante, fondamentale pour les années à venir. A l'arrière de la pochette de son premier album, There's no-one what will take care of you, y'avait une route, qui traversait le désert : tout un pan du rock américain, en rupture des déguisements électriques et des rages simulées, s'engouffrera sur ce chemin cahoteux, poussiéreux. On parlera alors de melancountry, d'americana, puis de néo-folk : il aurait suffi d'évoquer un front du refus à tout ce vacarme gâché, à tout ce rock bouffi, impuissant, dégénéré qui croissait sur les ruines du grunge et des années 80.
Will Oldham remit les compteurs du rock américain à zéro, le ramena à l'âge de pierre, aux fondamentaux (Creedence, Crazy Horse, Johnny Cash, Leonard Cohen...), avec un dogmatisme particulièrement courageux et suicidaire. Mais son message fut entendu haut et fort par toute une génération, de Luke à Devendra Banhart, de Cat Power à Björk, qui l'a récemment recruté... Une voie séminale, mais aussi une voix capitale, comme on n'en croise qu'une ou deux par décennie, suffisamment étrange – comme effrayée, effarée par les histoires amochées qu'elle raconte – pour engendrer autant de carrières que de consternation. Bref, Will Oldham est le Neil Young de sa génération, un passionnant maverick.
C'est en live, pour la première fois officiellement, qu'on le retrouve aujourd'hui, susurrant ou aboyant ses histoires cagneuses et psychiatriques avec un groupe électrique, méchant, hirsute, sorte de Velvet Underground des champs brûlés. Au dos de la pochette, y'a toujours une route, mais elle mène au sommet d'une montagne : la moindre des choses.
Jean-Daniel Beauvallet
BONNIE 'PRINCE' BILLY Summer in the Southeast (Drag City/Discograph)