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Lord of the new church


Une compilation de raretés et cocasseries permet d'y voir plus clair chez Will Oldham : il fait tout noir.



La version facile de cette chronique constituerait à écrire que cette seconde collection de faces B, raretés, 45t allemands, hommages, extraits de concerts étalés comme une marée grise dans le noir du temps, s'adresse uniquement au fan de Will Oldham/Palace. Bien. Soyons un peu hautains. Laissons tomber la version facile, qui ferait quelques blagues sur la reprise châtrée du Big balls d'AC/DC en blues canonique ou sur Gesundheit qui sample Twin Peaks, pour s'attaquer à une version critique nettement plus difficile, un championnat du monde de sophisme. Alors voilà. Il faut savoir que les disques de Palace ne se sont jamais adressés qu'à des fans ultimes. Qu'ils ont toujours réclamé, comme des chatons à leur naissance, dans un timide piaulement, cette part transie de vous-même, c'est-à-dire une foi indiscutable, inconditionnelle, pour supporter le murmure de confessionnal, d'aveu pénible, de péché irrémédiable, à quoi se résume à son meilleur la voix effondrée de Will Oldham.


Photo : inconnu

Palace, c'est le secret de la confession, si contesté actuellement. Il n'y a pas de jugement à émettre, pas de critique à développer. Face à ce fagot de chansonnettes épineuses, cette attitude miséreuse, ces accents pouilleux, cette façon dénudée de s'avancer, les mains déjà stigmatisées — ce qui constitue depuis l'origine l'élégance secrète mais imparable de Will Oldham — l'auditeur est sommé de tourner le dos ou de se convertir sur le champ. Et, parallèlement, que le critique soit évangéliste ou Romain. Ouh les mécréants ! Palace est la plus petite église du monde. Les vitraux sont cassés. Une tempête a depuis longtemps emporté le clocher. Les troncs ont été fracturés par de jeunes urbains en perdition. Sur les bancs, quelqu'un a gravé au canif : O Lord are you in need ? Là-bas, au fond, les officiants. On les entend à peine. Ils ne chantent pas, ils chuintent. Will Oldham fait des génuflexions comme Phil Collins fait des pompes, compose ainsi qu'on grave O Lord are you in need ?, au canif, sur les bancs d'une petite église de campagne. Ici, on joue blues et country comme si ce n'était pas des genres musicaux, mais des vérités théologiques. Ceux qui ne comprennent pas ne doivent pas comprendre grand-chose à grand-chose. Ceux qui ne voient pas ce qu'il y a de subversif et de dangereux à maintenir cet écart par rapport à tout sont, hélas, aussi nos contemporains.

Arnaud Viviant

WILL OLDHAM Guarapero/Lost Blues Vol. 2 (Domino/Labels)


Toute l'actualité culturelle : musique, cinéma, livres, etc. Les Inrockuptibles
numéro 230
du 15 au 21 février 2000
page 44