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Révolution de palais


C'est à Nashville, en compagnie de vénérables musiciens locaux, que Will Oldham est allé retrouver ses anciennes chansons. Quel que soit son pseudo, Bonnie "Prince" Billy, Palace ou Palace Songs, son nom, il le signe à la pointe de l'épée : ça veut dire héros.



Greatest Palace music, donc. Mais de quoi s'agit-il ? D'une compil pour ambiancer les ascenseurs des plus grands palaces du monde ? Will Oldham, alias Bonnie "Prince" Billy, aurai-il cédé à la tentation de surfer sur la morne (mais rentable) vague de la lounge-music ? On peut certes écouter Greatest Palace music dans un hôtel. Mais dans un motel 6 du fin fond de l'Amérique, avec le gros camion devant la porte, plutôt qu'au Costes.

Greatest Palace music est un album de ses propres reprises chantées par Will Oldham, accompagné par des musiciens de session nashvilliens. Will Oldham sort des disques depuis dix ans. Celui-là est une sorte de bilan, ainsi qu’une seconde vie offerte à des chansons de jeunesse. Une drôle de vie, vraiment. Les gars qui jouent sur ce disque n’ont sans doute jamais entendu parler de la lo-fi, de l’antifolk, de la musique underground, dont Will Oldham est pourtant le héraut. Ce sont des gens qui ont joué sur des disques des Judds, de Patty Loveless, de John Denver, de Ricky Skaggs, de Charlie Rich, de George Jones, de James Taylor. Des gens que le fan moyen de Will Oldham ne connaît peut-être pas.

De la rencontre entre les chansons de Will Oldham et la musique de l’establishment nashvillien naît pourtant un des disques les plus surprenants et ambitieux de Bonnie "Prince" Billy. Enluminées de piano, de cordes, de chœurs féminins, de pedal-steel et même de sax, les chansons de Will Oldham accèdent à une sorte de grâce intemporelle. Elles sortent de l’adolescence.

On connaissait ces quinze chansons en version originale : un peu tordues, un peu cassées, un peu pathétiques, aimables pour leur déficience. On les découvre en version immanente : moins stylées, moins fermées, moins castées. Les amateurs de folk geignard, qui n’apprécient le genre qu’à l’échelle d’un mouchoir de poche trempé de larmes, ne vont rien comprendre à Greatest Palace music. Mais ceux qui écoutent de la musique avec leurs oreilles plutôt qu’avec leurs dogmes vont enfin pouvoir apprécier le songwriting de Will Oldham.

Avec ce disque pas très dérangeant mais très bien arrangé, Will Oldham joue une sorte de variété américaine sans style précis, d’easy-listening western, de country-muzak, le genre de musique qu’on achète en cassette sur une aire d’autoroute et qu’on écoute dans le but unique d’avaler de l’asphalte et de couvrir le bruit du moteur, sans se soucier du nom ou de la réputation de l’interprète. Le genre de musique qu’on apprécie quand on est fatigué des étiquettes, des guerres de chapelles, des conceptions étriquées de l’esthétique. Bref, ça commence à devenir vraiment bon.


Photo : Renaud Montfourny

ENTRETIEN > Comment est née l'idée de ce disque ?
Le défi était de jouer avec des musiciens professionnels, habitués à une façon de travailler qui n'est pas la mienne. Des musiciens avec des années d'expérience, qui ont entendu beaucoup de chansons, qui savent comment elles sont fabriquées. Avec eux, il suffit d'appuyer sur la touche d'enregistrement, il n'y a pas besoin de répétition, le travail est rapide. Je voulais apprendre des choses sur le chant, sur l'enregistrement. Je voulais comprendre pourquoi certains disques sonnent d'une certaine façon : dans quelle mesure le studio influe sur le son, la dynamique, les émotions qu'il y a sur un disque... Dans quelle mesure c'est dû aux musiciens ou à moi. Le meilleur moyen pour moi de garder le contrôle était de travailler sur des morceaux que je connais très bien. L'environnement était inconnu, mais pas les chansons.

Ce disque est en rupture avec le style de tes disques précédents. C'est presque du non-style.
J'ai toujours souhaité que les gens qui ne s'intéressent pas à la musique underground aiment mes disques. Mais il y a des gens qui ne tolèrent pas et ne digèrent pas ce qu'il y a sur mes disques, leur son n'est pas toujours accessible. Quand les gens ont parlé du style de mon premier album, j'étais très surpris. Le style n'a jamais été important dans ce que je fais, c'est accidentel. On n'avait pas fait ce disque en pensant au style, mais dans la limite de nos compétences et de nos moyens. Quand je l'écoute maintenant, j'entends toute cette bizarrerie, toutes les particularités de ma façon de chanter. Ce n'était pas conscient à l'époque. Il y a encore des choses étranges dans mon nouveau disque, mais c'est aussi proche que possible de la norme. Donc, oui, j'imagine que je joue dans un "style non-style" aujourd'hui.

Depuis quelques années, ta musique devient de plus en plus chaleureuse et accueillante.
En vieillissant, on s'adoucit sur certains plans. Et puis, c'était l'idée revendiquée en faisant de la musique sous le nom de Bonnie "Prince" Billy : de la musique plus chaleureuse, moins rebutante. Bonnie "Prince" Billy est quelqu'un pour qui la musique n'a pas à être violente ou déplaisante. Mais quand je fais des disques sous d'autres noms, ou en collaboration avec d'autres musiciens, c'est un autre aspect que je montre. Quand j'écoute la musique que j'ai faite récemment pour le documentaire Seafarers, ça me déprime.

Tu possèdes un répertoire de reprises. Y a-t-il des chansons que tu t'interdis de reprendre ?
Quand je reprends une chanson, c'est ma chanson. Je reprends des chansons quand je sens qu'une injustice leur a été faite, qu'elles n'ont pas été assez écoutées. Ecouter une chanson, la jouer, la reprendre, c'est lui faire une faveur. Il n'y a rien de pire qu'une chanson oubliée. Mais il y a aussi des morceaux qui sont trop bons pour être repris. Les meilleures chansons de Thin Lizzy, je ne peux pas les reprendre, il y a quelque chose d'inexplicable, ça sonne comme rien d'autre, les accords sont bizarres, impossible à rejouer. Future days de Can, ça ne se reprend pas. On peut en faire des interprétations, rejouer dans un autre style, mais ça ne rend pas les chansons meilleures. Ou les premiers singles de Johnny Cash : les reprises ne seront jamais aussi bonnes que les originaux. Le mieux avec ces titres c'est d'en faire des copies et de les faire circuler.

Stéphane Deschamps

BONNIE "PRINCE" BILLY Sings greatest Palace music (Drag City)


Toute l'actualité culturelle : musique, cinéma, livres, etc. Les Inrockuptibles
numéro 434
du 24 au 30 mars 2004
pages 50 et 51