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Prince moi, je rêve


Superbement écrit et finement joué, le nouveau Bonnie 'Prince' Billy ressemble à un classique d'americana.



Sachant que les icônes sont faites pour être brûlées, on ne donnait plus cher de la peau de Will Oldham. Au fil des années et des disques, il était devenu ce petit prince entre guillemets, un peu péteux, du folk lo-fi. Une mini rock-star de plus, maître à penser de fanatiques qui n'osaient pas s'avouer leur amour de la vraie musique rurale américaine, maître à dépenser ses sous pour des disques qui n'en valaient pas toujours la peine. On avait beau clamer qu'il y avait plus de beauté américaine chez Willie Nelson, Herman Düne ou Ramsay Midwood que dans l'énième single de Will Oldham, il y avait toujours une légion de nains pour préférer Oui-Oui, ce saule pleureur chétif qui cache la forêt profonde. Pas de chance pour nos bonnes résolutions — détester Will Oldham, lui faire payer son statut —, il sort le magnifique Ease down the road. Si Will Oldham est bel et bien devenu un chanteur installé, c'est d'abord dans ses chansons. Ou dans ses chaussons, serait-on tenté de dire, tant ce disque ressemble à un retour chez soi, à une harmonie intime enfin trouvée. Dans les disques précédents de Will Oldham, il y avait toujours une esthétique confuse et à la longue fatigante du mal-foutu, entre pose arty et arthrite, une autocomplaisance dans le malheur.


Photo : Renaud Monfourny

Ici, Will Oldham chante comme s'il avait fait la paix avec lui-même, avec ses musiciens, avec le style, avec le monde. Sur le fond, rien de nouveau. Sur la forme, pas grand-chose : une précieuse chorale de copains (parmi lesquels un génie : Harmony Korine) qui illumine la plupart des morceaux, une interprétation infiniment délicate, harmonieuse, respectueuse du songwriting. L'écriture de Will Oldham n'a pas changé, mais il s'accompagne de musiciens à la hauteur des compositions, il privilégie le chant en duo, les harmonies vocales et revient ainsi à la source de la country-music. Il fait attention à ses chansons parce qu'elles sont ce qu'il a de plus précieux. Souvent, les chansons de Ease down the road semblent avoir toujours été là, comme des classiques oubliés de Leonard Cohen ou Willie Nelson, les parrains spirituels de ce disque (à une lettre près, Will Oldham a les mêmes initiales que Willie Nelson — un signe). Will Oldham vient de prendre un salutaire coup de vieux, de cette vieille sagesse dont on fait les songwriters qui durent (et restent). Est-ce d'avoir approché Dieu (Johnny Cash) qui l'a fait grandir d'un coup ? En parlant de coup : a-t-il rencontré l'amour pour chanter aussi bien After I made love to you ? Ease down the road est étonnant parce qu'il est un disque de chaleur humaine et de partage, de la part d'un homme que l'on avait trop souvent connu drapé dans une rebutante solitude. Le premier album de Bonnie 'Prince' Billy s'appelait I see a darkness. Cette fois-ci, il a vu la lumière.

Stéphane Deschamps

BONNIE 'PRINCE' BILLY Ease down the road (Domino/Labels)


Toute l'actualité culturelle : musique, cinéma, livres, etc. Les Inrockuptibles
numéro 282
du 20 au 26 mars 2001
page 52