Rock sound


Un grand merci à Jean-Paul pour le scan de cet article.


Days in the wake


Récapitulons. L'année dernière est paru un premier album pour le moins saisissant de country/gospel décharné aux allures de cérémonie funèbre,un peu dans la veine du méconnu "Joy Division sing Hank Williams". Grand disque, intense, taré au sens propre, plein d'histoires maléfiques d'alcool, d'inceste, de solitude physique ou métaphysique, le tout sur fond de l'obligatoire binôme péché/rédemption. Pas très loin du "Evil" des Red House Painters, et encore moins du Neil Young fin de parcours de "On the beach", celui donc qui chantait "I need a crowd of people/ But I can't face them day to day". A cette différence près que les Palace Brothers n'étaient eux pas beaucoup plus âgés que Beck quand ils l'ont enregistré. En somme des gamins effrayés par ce qu'ils viennent de découvrir : "There's no one what will take care of you" précisément, susurrant leur désespoir en tremblotant, du bout des lèvres un peu comme si c'était leurs parents qui les obligeaient. Tellement effrayés en vérité, que certains journalistes outre-Atlantique se sont demandés si tout ça était sincère et beaucoup plus crédible que, mettons, un scénario de Chapeau Melon et Bottes de Cuir. Ceux qui ont voulu les interviewer pour percer le mystère ont constaté deux choses : tout ce qui les intéresse, c'est de se taire, d'abord, et ensuite de savoir si Cat Stevens est une star en Angleterre. Evidemment de quoi apporter encore un peu d'eau au moulin de ceux qui se demandent s'ils jouent et à quoi. Sans préciser quel pourrait être l'intérêt de ce genre de jeu. Puis, le mois dernier, a suivi un maxi du même tonneau, confirmant tout le bien qu'on pensait d'eux, notamment au détour de l'extraordinaire "Trudy dies". Dans la foulée on aurait presque aimé le second album strictement identique à tout ce qui avait précédé. C'est raté. Disons, pour ceux qui trouvaient le groupe encore trop tonique, encore trop bruyant, que ce deuxième album va encore plus loin dans le dénuement musical, qu'il est d'un abord austère loin d'être aussi prenant que son prédécesseur, et que pourtant ils auraient tort de décamper trop vite. Ne pas trop se fier à la déception initiale. "When you have no one, no one can hurt you" anonne d'entrée Will Oldham. Du coup, il n'y a personne sur le disque, personne d'autre que lui, sa guitare et ses chansons toujours aussi dérangées. Un album solo donc sauf pour une chanson alors vraiment du troisième type, celle-là, où les autres sont venus aboyer tous en coeur derrière lui, entre deux "Kill a little cat / Kill a little dog". Là, on retrouve le petit quelque chose d'inquiétant qui faisait le prix de "There is no one...". Inquiétant et fichtrement touchant à la fois ("Little dog I love you" continue-t-il — une ode à son chien défunt ? Autre chose ? Mais quoi ?). Pour le reste, oubliés le banjo, la batterie, l'orgue sinistre qui hantait "There is no one..." (la chanson). C'est d'un genre de folk qu'il s'agit, a-mélodique et obsessionnel, avec une nette tendance à répéter cinq ou six fois d'affilée la même phrase, et éventuellement en rajouter une ou deux autres pour compléter la chanson. De "God is what I make of him", on est passé à "God is the answer/God lies within" ad libitum, puis à des mots qu'on imagine mal choisis dans le seul but d'épater la galerie : "This longing that I feel to be real". Irréalité, absence à lui-même, oui peut-être, mais ce type a-t-il la moindre idée de la présence, de la chaleur qu'il finit par dégager ? Dans ce désert de mélodies, dans cette non-musique, à travers ces mots parfois à moitié mangés et incompréhensibles, sait-il seulement à quel point il est émouvant ?

François Keen

PALACE BROTHERS Days in the wake (Domino/Semantic)


Rock Sound
numéro 17
septembre 1994