Libération


Un grand merci à Jean-Paul pour le scan de cet article.


Un certain effacement


Dans leur Louisville natal, Will Oldham & Co avaient commencé par se baptiser les Palace Flophouse... La suite de cette histoire en creux ci-dessous, avant concert parisien.



Leur prestation était constituée de reprises country jusqu'à ce qu'ils deviennent les Palace Brothers à l'occasion de leurs premiers disques : le 45 tours Ohio river boat song, puis l'album There is no-one what will take care of you en 1993 (sur le label Big Cat) où l'unique reprise était I had a good mother and father, de Washington Phillips, obscur musicien début de siècle, référence surprenante et ceci à deux titres. D'abord, de part son anachronisme au sein d'une scène indie américaine plutôt bruyante où l'instrumentation, minimale, organisée autour d'une guitare, d'un banjo et de percussions discrètes, mis en valeur par un son sous influence country, choquait par sa retenue. Ensuite, parce que le passé de David Pajo, ex-guitariste de Slint, combo pré-grunge fêté par le maestro alternatif Steve Albini, et de Britt Walford, ex-batteur des Breeders, ne laissait guère présager un tel revirement.

L'explication, en fait, est simple ; elle a pour nom Will Oldham, jeune homme de 24 ans à la voix vermoulue de tristesse et acteur quand ça le prend. Pour des téléfilms, mais aussi sur le circuit indépendant (un rôle de mineur à vocation religieuse dans Matewan de John Sayle). Lui-même auteur à ses heures, il avait pu voir une de ses pièces écrite à l'époque du lycée se jouer au Kennedy Center mais aujourd'hui Oldham écrit des chansons.

Sur There is no-one what will take care of you les paroles évoquent l'alcool, le péché, l'inceste et la religion, dont les rites fascinent d'évidence Oldham, qui confesse aller à l'église écouter la musique. Entre salut et damnation, les voies de ce seigneur impénétrable sont désolées et calamiteuses. Et l'on se demande pourquoi ? Car ce type aux allures d'angelot autiste ne répond pas aux énigmes que les journalistes, conquis par l'originalité assez années cinquante de son œuvrette désœuvrée ont essayé de lui poser. Ou alors avec des questions, des silences rappelant étrangement ceux de ses compositions.

Un jour, pourtant, particulièrement disert, on l'a entendu ainsi définir sa démarche : "Divertissement. Il n'y a aucune préoccupation de singularité. Je sais que nos disques ne seront pas écoutés dans de nombreuses fêtes mais c'est tout de même supposé n'être que de la pop, quelque chose qui ponctue les bonnes choses de l'existence." Quant à ses textes, voici ce qu'il en pense : "Ce sont tout bonnement des histoires. Comme lorsqu'on est en voiture et qu'on remarque un truc du coin de l'oeil dans le rétroviseur — par exemple une tortue sur le dos. Parfois, on va voir ; parfois, on continue sa route. Les textes parlent de ces petits obstacles qui font la vie des gens."

On peut parier que Palace Brothers deuxième album, option country-blues rustique, enregistré avec une autre équipe, n'explicitera guère ces propos delicats, ni leur auteur, ni sa musique, que certains n'hésitent pas à qualifier de "gothique sudiste".

Barbarian

PALACE BROTHERS Days in the wake (Domino/Semantic)


Libération
6 septembre 1994