Ce n'était pas moi
Las de jouer à cache-cache dans les suites poussiéreuses du Palace qui servait d'abri à sa country lo-fi, Will Oldham est enfin lui-même sur la couverture de son récent Joya mais prétend désormais s'appeler Bonnie 'Prince' Billy. Signes de pistes.
Will Oldham n'a pas exactement bonne réputation. Ses disques souvent pétris de la même austérité sudiste en ont effrayé plus d'un et ont injustement contribué à véhiculer l'image d'un personnage difficile et neurasthénique. Pourtant celui que l'on a successivement connu sous les noms de Palace Brothers, Palace Songs, Palace Music, etc., et qui se nomme désormais Bonnie 'Prince' Billy ("
pour faire plaisir à ma mère") est l'un des rares auteurs à avoir apporté quelque chose de réellement neuf dans le vaste paysage de la
néo-country des années 90. Même s'il n'aime pas le terme (se considérant "
influencé par tout un tas d'autres musiques"), Will Oldham a considérablement renouvelé les thèmes et le son de la country contemporaine en y injectant quelques surdoses de
trash culture et un langage cru directement hérité des dernières séquelles du punk. Responsable de quelques-uns des plus beaux pavés (
Arise therefore,
Viva last blues et le tout dernier
I see a darkness) lancés dans la mare country durant cette décennie, Oldham a également transfiguré le genre en imposant une manière de chanter parfaitement unique, laissant souvent sa voix se fracasser contre ses propres limites sans jamais chercher à dissimuler ces déraillements soudains (liés aux prises de son en public).
Est-ce que le fait de changer de nom aussi souvent s'explique par la volonté de stimuler l'idée d'une renaissance artistique permanente, ou bien est-ce une manière d'isoler chaque disque et d'aider à ce qu'il soit considéré comme un tout, indépendant du reste de votre discographie ?
Définitivement la deuxième solution.
Une attitude qui atteint son paroxysme avec Arise therefore qui n'est attribué à personne en particulier...
Oui, la maison de disques avait mis un autocollant
Palace Music dessus pour pouvoir le vendre. Mais je ne voulais pas de nom sur cet album. C'est seulement
Arise therefore. Je suis toujours ennuyé par ces histoires de noms. Je ne sais jamais quoi mettre et c'est toujours la dernière chose à laquelle je pense.

Photo : Robinson Savary
Est-ce que le fait que Joya soit signé Will Oldham signifie qu'il s'agit d'un disque particulier pour vous ?
Oui et non. Disons que je ne voulais rien mettre mais que je n'avais pas non plus envie que l'histoire de
Arise therefore se répète. Alors, comme il fallait que je trouve quelque chose, j'ai mis mon nom, faute de mieux.
Quel a été l'apport de Steve Albini dans la production de vos disques ?
C'est quelqu'un de très stimulant parce qu'il ne cherche pas à faciliter les choses. Il me fait penser à Richard Avedon qui photographie les vedettes sur un fond blanc avec une forte lumière, ce qui fait ressortir toutes les aspérités de leurs visages et les fait ressembler à de vieilles personnes comme les autres. Cela signifie qui si on aime un disque produit par Steve Albini, c'est que les chansons sont bonnes parce qu'il ne cherchera jamais à arranger les choses. Beaucoup de gens se sont plaints, par exemple, que le disque qu'il a réalisé avec Nirvana (
In uteri) n'était pas aussi bon que les précédents. Mais c'est simplement parce que sa production a fait ressortir leurs limites de musiciens et le fait qu'ils se reposaient beaucoup sur leur entourage. J'aime beaucoup ce disque justement parce qu'on entend tout parfaitement et qu'il offre une vision claire de la réalité de Nirvana. En somme, disons qu'il ne faut pas se laisser piéger par la production d'Albini car il laissera toujours l'artiste faire ce qu'il veut.
Même si vos disques ont l'air très dépouillés, on a vraiment l'impression que vous cherchez toujours à créer une atmosphère distincte à chaque album...
Oui, le mixage est une étape très importante, un peu comme le montage d'un film. C'est pour cette raison que je pense qu'il est difficile d'utiliser mes albums comme fond sonore dans des soirées ou dans un bar. A part
Joya, tous mes disques sont comme un lieu en eux-mêmes. Je me demande même si je pourrais les écouter autrement que tout seul.
Là aussi, Joya est une exception...
Oui, nous l'avons terminé en trois jours tandis que
I see a darkness avait pris six semaines dont trois de travail, essentiellement sur le mixage. Je voulais me débarasser de ce disque et faire les choses très vite. Alors je donnais les partitions aux musiciens et on enregistrait dans la minute. On avait l'ingénieur du son des Smashing Pumpkins. Le type n'avait jamais travaillé aussi vite. Ses mains tremblaient, c'était assez drôle... A un moment, pour corriger le dérapage d'un musicien, on a ajouté une note d'orgue qui n'a rien à voir avec le reste du morceau mais qui sert de sparadrap sonore en quelque sorte
(rires).
Cédric Rassat