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Le monte-en-bas


Lassé des fripes country, Will Oldham offre un écrin inédit à ses chansons, plus dépressives et belles que jamais.



D'abord, rétablir la vérité : contrairement à une idée en vogue, les maîtres-gueux de la lo-fi sont loin de se prendre les pieds dans leurs paillasses. Smog, Lou Barlow ou Palace tiennent leurs promesses au centuple, capables de rebondissements et de dépassements de soi insoupçonnés. Sur Arise therefore, cinquième album de Palace, on croit d'abord à une erreur du fabriquant de compacts : Stablemate commence par une basse vraiment très basse, un piano joué d'une main, une boîte à rythmes anémiée. Jusqu'à l'arrivée de cette voix reconnaissable entre un million, on s'est cru dans une demo de Portishead. Un duo entre Beth Gibbons et Will Oldham : grand fantasme suggéré par l'instrumentation cotonneuse du bleu nuit d'Arise therefore. Depuis trois ans, on martèle que Palace a révolutionné la country. On pensait avoir tout dit, on pensait tout savoir de Will Oldham. Qui va donc voir ailleurs, trop indompté pour habiter la cage dorée qu'il a lui-même construite. C'est comme si Will Oldham avait commandé un nouvel horizon musical par la poste, en kit à monter tout seul sans bouger de chez soi. Mais des brumes sensuelles de Bristol aux frimas secs de Louisville, la route est longue et peu sûre. Will Oldham a égaré quelques pièces, oublié de lire la notice, recollé les morceaux avec les moyens du bord : le jus de viscères d'un chanteur déclaré incurable, définitivement perdu pour la joie de vivre. Au début, Arise therefore s'écoute avec un certain enthousiasme. On a envie de se réjouir de ce disque, d'avancer pour rire le concept d'abstract country, de parler de diversité dans l'excellence, de souligner la liberté de jeu de Palace, de fêter la victoire d'un homme sur sa nature. Mais rien à faire : au fil des écoutes, l'éclairage "expérimental" d'Arise therefore ne fait apparaître que des ombres — ni chaleur ni lumière. Cet écrin musical feutré et diaphane, fascinante mer d'huile, est un leurre, une fausse nouveauté, le symptôme inconnu du même mal qu'on côtoie depuis cinq albums. La constante, c'est cette voix au bord de la noyade. Un chant d'albâtre désemparé, chancelant, voûté, d'une tristesse insondable, résigné à tâtonner entre l'inquiétude et le détachement. Nul ne sait où mèneront les prochaines errances de Will Oldham. On n'est sûr que d'une chose : on le suivra jusqu'au bout.

Stéphane Deschamps

PALACE Arise therefore (Domino/Pias)


Toute l'actualité culturelle : musique, cinéma, livres, etc. Les Inrockuptibles
numéro 54
du 24 au 30 avril 1996
page 36