Arise therefore
Will Oldham joue les airs folk-wave de sa nouvelle production sous le nom de Palace Music.
"
Comment croire un instant les choses éternelles ? Quand travailleras-tu un jour et lutteras-tu ?" : c'est sur ces mots calmement excédés que s'ouvre le nouveau Will Oldham, âme patiente livrant sous le pseudonyme de Palace Brothers ou Palace Music ses exercices de mélancolie rurale (il déteste qu'on emploie à son sujet le mot
country).
Arise therefore, nouvel album toujours produit par Steve Albini, sonne comme l'aboutissement de cette antiformule éprouvée par Oldham ces dernières années. Entre jazz de chambre, motif de piano répétitif et compositions lumineuses, le CD chemine vers une façon de conciliation, croisant folklore médiéval, orgue métaphysique de Robert Wyatt, ballades stoniennes perdues, aridités dylaniennes et
Music for a new society de John Cale — sans les embarras.
Will Oldham, qu'on croise à l'Aquarium ou au musée des Sciences et Techniques de Chicago, parle de lui à demi-mot. Avec la douceur de cette Caroline du Sud, où il est né en 1969. En insistant, on apprend que sa mère était prof de français, son père violoncelliste, l'une de ses aînées harpiste. En face sur l'île d'Ocracoke (Caroline du Nord ), sans TV, entre légendes pirates locales, culte baptiste trois fois par semaine,
On the corner de Miles, AC/DC et Black Sabbath. A 18 ans, Will quitte la maison pour le punk (groupes bruitistes "sans paroles" voire sans nom), la moto, les filles et un boulot d'ouvreur-projectionniste. S'achetant une guitare, il compose une maquette vaguement blues, entre yodel et gospel, déposant le style country rêche qui est encore sa signature.
Ridin', histoire d'un inceste,
Fish et son pêcheur endormi,
Two more days,
Ohio river boat song et une berceuse au père intitulée
Oh Paul, l'essentiel d'un répertoire pour le moins décalé, sont aussitôt éditées par le label Drag City, de Chicago.
Days in the wake, deuxième album écrit à Charlottesville, où Oldham s'est vaguement établi, est pourtant enregistré dans sa ville natale, qu'il retrouve pour enterrer son père et consoler sa mère en attendant qu'elle se remarie. Quand il s'installe à Chicago, il réunit des musiciens locaux pour enregistrer le troisième volet de ses expérimentations country-wave, et un ingénieur du son qui n'est autre que Steve Albini, le producteur de Nirvana. L'inspiration s'est élargie. Et sur scène, avec
Old Jerusalem (décalquant un vieux gospel), le jeune homme rêve d'Israël 1960 "
quand les idéaux étaient forts", évoquant parallèlement la métamorphose de Cat Stevens en Yusuf Islam et "
la frivolité avec laquelle les gens adoptent telle au telle croyance aujourd'hui". En privé, Oldham laisse même sourdre une inquiétude à la vue des enfants "
qui s'habillent avec un chic extravagant, pas comme à mon époque, et passent leurs journées absorbés devant la télé ou les jeux vidéo", avant de se ressaisir : "
Rien n'a changé."
Les chansons comme
New partner évoluent ainsi entre nostalgie et appel de l'exil, dans une narration assez cinématographique. Des chansons, qui seraient aujourd'hui, d'après le chanteur qui a accessoirement passé ces derniers mois à s'exercer sur les disques d'Oum Kalsoum et de Stevie Wonder, proches d'Egon Schiele : "
Dans ses tableaux, on voit avec la même force ce qu'il a pris dans la réalité ou la nature, et sa vision inexplicable et singulière. Ce qui m'intéresse fondamentalement aussi dans un film de SF comme Total Recall
. On ne sait jamais si ce qui se passe est vrai ou pas, il y a des gens atteints d'affections étranges, déformés. Comme dans la réalité. Et le héros du film voyage dans l'espace à la recherche de sa personnalité, car il ne sait plus laquelle est la vraie."
E.D.
PALACE MUSIC Arise therefore (Domino/Pias)
Libération
16 avril 1996