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Folk-à-Billy


Dans les traces rupestres de Neil Young ou de Nick Drake, un grand disque de folk apaisé.



Tu piques, Will. C'est peut-être pour contrebalancer la prolifération sur ses joues d'une épineuse barbe de patriarche que Will Oldham, alias Bonnie Prince Billy, vient d'enregistrer un de ses disques parmi les plus doux. Lui qui n'a jamais franchement versé dans l'exubérance et la musique de fin de banquet pouêt-pouêt se présente ici sous son jour le plus intimiste. Master and everyone, quatrième album de Will Oldham sous le nom de Bonnie Prince Billy, commence par jeter un froid : disque sans batterie, extrêmement retenu, linéaire, limite asthénique (Drake), d'humeur égale, étale. Will Oldham n'est pas encore le genre de folk-singer à verser dans le lyrisme clinquant ou la confession écorchée. A notes feutrées et mots couverts, parfois accompagné d'un orgue à bout de souffle, de cordes ou d'une chanteuse qu'on imagine blonde et éthérée, Will Oldham compose des chansons-loupiotes dont la fonction n'est pas de réchauffer l'atmosphère, mais de créer des ombres et des nuances.


Photo : inconnu

Will Oldham joue du folk, mais pas du folk terrien. Du folk aérien, zen, en lévitation. Des chansons à écouter allongé, endormi, seul, dans le ventre de sa mère ou sur son lit de mort douce. Ces chansons floconneuses, on aurait pu rêver de les entendre plus arrangées, plus chaleureuses, à la façon des deux albums précédents de Bonnie Prince Billy. Mais ici, le roi est nu, sans fard ni fardeau, sans maniérisme — sans chauffage non plus. Et c'est pourtant à travers cette nudité d'aquarelle, à la limite de la transparence, qu'est dévoilé le talent original de Will Oldham. Alors qu'on a depuis longtemps cessé de compter (et souvent d'écouter) les disques de ses disciples, Master and everyone hante comme un souvenir, un parfum ou une absence. Peut-être que Will Oldham n'a pas grand-chose à nous dire, mais il le dit bien, l'air de ne pas y toucher, distillant une sorte de mélancolie amicale. Mais attention, ça ne va pas durer : il se serait récemment coupé la barbe. Bientôt, l'album death-metal.

Stéphane Deschamps

BONNIE 'PRINCE' BILLY Master and everyone (Domino/Pias)


Toute l'actualité culturelle : musique, cinéma, livres, etc. Les Inrockuptibles
numéro 374
du 29 janvier au 4 février 2003
page 64